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y a d’abord ce rouge orange, homogene, qui monte
au trois-quarts de la hauteur du tableau : monochrome a peine
modele dont, seul le titre nous dit qu’il s’agit
d’un champ de pavots, et qu’un Felix Vallotton
n’eut peut-etre pas desavoue. Ce vermillon
nous enchante, surplombe qu’il est par le rideau vert
des arbres (des pins, a n’en pas douter). Si ce rouge
et ce vert ≪ conviennent ≫ 1
) admirablement, c’est parce que les couleurs complementaires
trouvent, en l’espece, la caution de la nature ; ce
qui signifie que l’artiste se sert du paysage pour faire un
tableau, plus qu’il ne compose une toile pour ≪ rendre
≫ ce paysage. A l’instar du peintre ≪ nabi ≫
qu’on vient de citer pour ses voluptueuses plages chromatiques,
la sereine Lee Hyun 2
a d’abord le desir d’ecarter genereusement
de la peinture. De fait, pour Vallotton comme pour notre coreenne,
(re) doubler de la sorte la ≪ peau ≫ du monde n’est
qu’un pretexte jouissif ( le tout, precisement,
etant d’en susciter l’opportunite). En
somme, si Papaveri di via Balestrucci, ressemble (ou a
ressemble) a ce que le peintre a vu a un moment
donne de son parcours, il nous importe, surtout, de saisir
ce que l’artiste a pu entrevoir, confrontee a
son ≪ motif ≫. Au vrai, la toile nous saisit, non pas
parce qu’elle est une vue, mais une vision, cette saisie des
choses a laquelle il a fallu donner un lieu propre: le tableau.
Entre le vert et le rouge orange, il y a ce
blanc grise qui fait office de ciel, alors que la vraisemblance
aurait voulu qu’il fut bleu, et cette double bande de
violet et de jaune d’or ( la mer, a n’en point
douter, et le sable). L’ensemble forme un paysage dont la
composition n’est pas sans rappeler ce que peignit, deja
il y a plus d’un siecle, Giovanni Fattori, ce macchiaolo
3 qui cherchait
passionnement a creer des situations plastiques
a mi-chemin du sensible et de l’intelligible. Faut-il
alors comprendre que cette coreenne de Rome s’est impregnee
a ce point de l’Italie que tel ou tel artiste de la
peninsule est capable de se changer, ici, en un devancier
inattendu ? Nous le pensons. Si, par ailleurs, bien des tableaux
de Lee Hyun laissent deviner que l’artiste oscille entre l’Europe
et le Pays du matin calme (Neve, notte in blu ou l’humoristique
Sogno II), d’autres toiles comme Indugio nell’ infinito
ou Papaveri di via Balestrucci, donnent a penser, au contraire,
que, chez cette femme venue de loin, la question des origines, picturalement
parlant, s’est estompee. Ou plutot s’est
deplacee. Car, avec ses aplats maconnes,
la toile s’offre a nous comme si l’artiste avait,
sans se renier, redecouvert le besoin, eprouve
par les les nabis vers 19OO, de ramener les apparences a
un quasi-cloisonnage ( on pense a Charles Filliger). Ironie
de l’histoire, on doit rappeler que les nabis admiraient fort
la facture epuree des estampes venues d’Extreme-Orient…
Cette toile a, pour nous, quelque chose d’apaisant
qui prouverait, si cela etait necessaire, qu’en
ce debut de XXI°siecle l’art retinien
(pour parler comme Marcel Duchamp) n’est pas mort, tant s’en
faut ; que le plaisir n’a pas necessairement deserte
le travail des artistes, et que ce plaisir est toujours contagieux.
Partout se levent des artistes que le microcosme de la critique
- faiseuse de reputations- s’entete a
ne pas reconnaitre. En Europe, comme a l’etranger,
des tableaux ne laissent d’apparaitre avec lesquels
il faudra bien, un jour, compter. Quoi qu’il en soit, avec
cette artiste qui s’acclimate sous nos cieux, et qui exhausse
la joie simple, mais non simpliste, d’un metier conquis
sur le danger des complaisances decoratives, l’emotion
nous envahit.
1 c’est-a-dire
viennent ensemble
2
Sur Lee Huyn, on pourra consulter le catalogue La pace nell’infinito,
Editions Bora, Bologne, 2004, catalogue presente lors
de l’exposition a l’Unesco fin 2004.
3 Nous songeons
a La rotonde de Palmieri, 1866, Florence, Palais
Pitti, 18x 36, huile sur bois. |